On connaît la chanson : « Que pèse notre bulletin de vote/ Face à la loi du marché »… Cette phrase, entonnée si souvent dans les manifestations parce qu’« on ne lâche rien », nous, réuni.es lors de la rencontre de Se Fédérer du 18 avril, avons décidé de l’interroger. Que faire avec 2022 ? L’échéance dont les médias ne cessent de parler pourrait bien nous emprisonner dans son carcan d’ultimatum : ce serait à prendre ou à laisser. La politique se réduirait à un geste : voter. Alors que la chose politique, si nous l’entendons au sens fort de « bien commun » qui permet de former une cité, renvoie à tant d’autres choses: des engagements, des alternatives, des luttes, des solidarités, des résistances, des grèves, des occupations, des manifestations, des lieux retrouvés, des fêtes, des assemblées populaires, de l’attention collective, des visées subversives.
Et pour autant, face à cette échéance, nous ne saurions répondre par l’indifférence : parce que des millions de personnes s’intéressent à elle, et parce que de toute façon le pouvoir sera pris. Que nous y prenions part ou pas, le cours de nos vies ne sera pas le même selon que telle ou telle force politique l’emportera, et que telle dynamique se sera manifestée. L’abstention est énorme tant les promesses, d’année en année et de décennie en décennie, ont été piétinées et trahies. Beaucoup jugent qu’il y a là un enjeu majeur. Nous ne pouvons pas faire comme si ça n’existait pas. Partout où nous sommes, partout où nous pouvons, il nous faut porter cette voix : celle de l’espoir d’un tout autre système, d’un tout autre régime, qui donnerait pleine consistance à une démocratie vraie là où les institutions qui régissent notre vie concentrent le pouvoir entre les mains d’un seul homme et servent des intérêts en tous points opposés à ceux de la majorité et de la dignité humaine. Rappelons que cette Constitution a été forgée après un coup d’État, en mai 1958, que son référendum fondateur a été entaché d’irrégularités, qu’elle offre au président de s’octroyer les pleins pouvoirs et au gouvernement de décider par ordonnances, qu’elle transforme le parlement en une chambre d’enregistrement : bref, que la démocratie y est vidée de toute substance. Et ce alors que des médias puissants détenus par des milliardaires prétendent y faire la pluie et le beau temps, en façonnant l’image des candidats et en mettant en scène de faux choix. La république véritable, « la belle », « la sociale », celles qu’espérait le mouvement ouvrier, populaire, révolutionnaire, et notamment la Commune, était à l’opposé de ce présidentialisme qui érige un homme en chef et prive l’écrasante majorité des décisions sur ce qui concerne le bien commun. C’est une démocratie défigurée, à mille lieues de ce que pourraient être des institutions où chacune et chacun se sentirait maître d’un destin collectif et, justement, commun.
Pour les anticapitalistes, il y a le plus souvent trois options face aux élections : soit le boycott, pour ne pas prendre part à ce jeu qui enferme trop souvent dans de fausses solutions ; soit une candidature anticapitaliste, qui saisit la brèche ouverte dans un champ médiatique habituellement cadenassé, pour dessiner un tout autre projet ; soit une candidature de gauche, d’une vraie gauche et pas de la droite complexée, une gauche, donc, qui mettrait en œuvre des réformes susceptibles de faire reculer la violence sociale et l’emprise du capital, qui ferait s’arrêter un temps le bulldozer des attaques. Et il est certain qu’il y a là un enjeu historique : ces dernières années, ces attaques ont avancé avec une violence d’État rarement observée. Le macronisme ne cesse de chasser sur les terres du lepénisme, dans une surenchère destructrice, qui met en premier lieu en danger les personnes victimes de racisme, et de toutes autres formes de discriminations et d’oppression. Il s’agit aussi d’interroger les conditions mêmes de possibilité, pour un gouvernement de gauche, de mettre en œuvre une politique de réformes : le capitalisme, de plus en plus intraitable dans sa phase néolibérale, ne laisse opérer aucun gouvernement de ce type et le prend en tenailles. Nous entrons dans l’ère d’une finance de plus en plus autoritaire. Comme dans tous les moments où la gauche au pouvoir a réalisé quelques mesures importantes dans une perspective émancipatrice, c’était le débouché d’un haut degré de luttes sociales.
Le collectif Se fédérer n’a pas vocation à donner de « consignes », mais nous pensons que notre responsabilité, en raison même de notre attachement à diffuser une vision non capitaliste de la vie et à promouvoir des alternatives post-capitalistes, c’est de tout faire pour subvertir l’échéance électorale. Quel que soit le bulletin de vote que nous mettrons – ou pas – dans cette urne sacralisée, nous pouvons contribuer à d’autres perspectives.
On nous dit de voter ? Certaines et certains le feront, avec conviction ; d’autres pas. Mais dans tous les cas nous ne saurions nous en contenter : car la passivité serait là. À une politique archi- usée qui ne porte plus aucune dynamique propulsive, ripostons par l’action et l’initiative. Nous invitons toutes et tous, individus ou collectifs engagés contre un système économique et politique violent, délétère et meurtrier pour le vivant à s’organiser partout où c’est possible avec quelques pistes d’actions concrètes – à multiplier :
- mettre en place des comités auto-organisés ;
- interpeller collectivement les organisations politiques qui se présentent ;
- proposer aux gauches de soumettre leurs divergences à la consultation populaire ;
- mener des contre-campagnes démontrant que, par la notation des candidats, le résultat pourrait être tout autre ;
- différencier le vote de l’élection : voter, c’est collectivement décider ; élire, c’est souvent voir ce pouvoir de décision nous échapper ;
- trouver des moyens visibles et concrets qui permettent aux sans voix de se faire entendre;
- défendre partout l’importance des luttes et la perspective de candidatures collectives ;
- soutenir la perspective d’assemblées populaires qui puissent décider sur la base de rotation des mandats et d’un véritable autogouvernement.
Bref, nous avons de quoi agir et peser collectivement sur l’air du temps sans le laisser nous asphyxier.